Qu’est-ce qu’une femme sauvage ?

n° 040

Femmes Sauvages – Essai de dé-domestication et de dé-silencisation de la femme

Au commencement était la Définition

Ce que le sauvage n’est pas

Ne vous méprenez pas sur le sens de l’adjectif « sauvage » ici, qui ne renvoie ni à une volonté de s’isoler et de se retirer du monde par goût ou dépit, ni à la nudité ou à l’innocence d’Ève, au naturel brut par opposition à l’artificiel ou au culturel, ni à une instinctualité primitive à laquelle on souhaiterait retourner par nostalgie des (pseudo-)sources ou volonté d’anéantir la « bête humaine » qu’a produite le fait civilisationnel, ni même à la férocité ou la brutalité de la guerrière dont ont pu faire montre certaines vieilles militantes.

Plus brièvement, l’emploi qui est fait ici du mot « sauvage » rejette toutes ses acceptions figurées et dépréciatives.

Ce que le sauvage peut être

« Sauvage » peut désigner le genre de femme qui vit en liberté et qui en tant que telle n’appartient pas à l’expérience familière des hommes (qu’ils soient de sexe masculin ou féminin).

Cela peut également renvoyer à des qualités qui n’ont pas été modifiées, travesties ou détournées par l’action ou l’intervention de l’homme, à comprendre au sens général de « la culture » et plus particulièrement des modèles comportementaux, spécialement pensés pour les femmes, que cette culture valorise, alimente et pérennise.

« Sauvage » peut aussi se dire d’un groupe non domestiqué d’une espèce qui comporte des représentants domestiqués. Ou encore, peut remplacer l’expression « peu civilisé » dans un point de vue nouveau sur ce qu’est une civilisation.

On dit aussi de certaines formes de vie organiques qu’elles sont sauvages quand elles n’ont pas été cultivées, dressées de tuteurs, mises sous serres, etc. Tout comme on qualifie de sauvages des lieux difficilement accessibles, peu ou pas du tout balisés, quadrillés, mesurés, cadastrés ou modifiés, reconfigurés, « rééquilibrés » (déséquilibrés ?) par les hommes et en tant que tels, étranges, mystérieux, secrets, voire inhospitaliers et effrayants.

En un sens, toutes ces modalités du sauvage conviennent à l’emploi qui sera fait ici de ce mot. En seront même ajoutés quelques subtilités sémantiques, des variations de point de vue, des conséquences, des corollaires. Car le concept du sauvage est plus complexe et pertinent qu’il n’y paraît, simultanément nourri par les perspectives ontologique et axiologique.

Dans sa modalité politique, la femme sauvage est un état/un être transitoire dont le caractère sauvage est destiné à ne plus être remarquable. Et peut être bien est-il vain car le politique ne saurait être, de facto et non per se, le lieu d’une émancipation qui ne peut se conquérir que « horizontalement ».

La philosophie du sauvage n’est pas un naturalisme

Nous pouvons poursuivre notre circonscription des conditions d’interprétation possible de notre discours par une évaluation de l’adéquation des thèses dites naturalistes (quels que soit leur science humaine d’application) à nos conceptions sur le sauvage.

La nécessité de la discussion sur les translations de sens autorisées entre le sauvage et le naturel nous est apparue plus forte que jamais depuis que nous avons remarqué un emploi inapproprié des termes appartenant au champ lexical de la nature (comme naturalisme, naturel, naturalité, etc.) et son corollaire tout aussi inadéquat, la qualification de rousseauisme (ce qui évoquera à certains le persiflage voltairien), lors d’une polémique orchestrée, grassement nourrie et exacerbée par des médias distribuant inéquitablement l’espace de leur tribune, au sujet de cette aberration conceptuelle qu’est la dualité ou la distinction entre la femme et la mère ; deux entités qui seraient foncièrement distinctes (alors que la mère est une modalité contingente et pas un « autre » de la femme) et éventuellement en conflit, et qu’un certain « éco-féminisme » (expression que nous préférerons à celle de « féminisme réactionnaire ») voudrait identifier.

Nous reviendrons dans un prochain billet sur ce débat, qui n’a pu se hisser au niveau public que grâce à la fonction « Laisser un commentaire » des sites internet des principaux quotidiens et hebdomadaires d’informations ayant relayé cette pensée de la femme fragmentée, et à cette agora virtuelle qu’est la blogosphère.

Le mythe de l’état de nature

Le sauvage ne peut se réduire au naturel et ceci principalement pour deux raisons.

Le naturel est une construction de l’esprit et il y a autant de façons de discriminer le naturel du non naturel qu’il y a de caractérisations ou de conceptualisations du naturel. Nous pourrions même affirmer l’inverse : il y a sans doute autant de façons de concevoir le naturel qu’il y a de façons de couper/trancher dans l’être pour en séparer le naturel de ce qui ne le serait pas. Autrement dit, c’est l’acte de pensée, discriminant et classificatoire, qui construit les « natures ». Tout est de l’être ; pourtant, il faut bien penser…

Le sauvage tel que nous l’entendons opère d’autres coupes dans le réel, qui ne re-coupent pas celles des nombreux « naturels » listés dans les dictionnaires.

Toute tentative de confondre, en l’humain, le sauvage et l’état de nature (à comprendre comme conditions pré-sociales de l’humanité) est vouée à l’échec par le simple fait qu’il n’y a rien de tel que l’état de nature de l’homme. L’état de nature est un impensable radical. La recherche d’une origine de l’humanité en dehors de sa foncière socialité n’a pas de sens. Nous nous autoriserons même cet oxymoron : la nature de l’homme est de se doter d’une culture. L’animal humain est d’emblée pris dans la trame des liens sociaux. Il est créateur et réformateur de normes comportementales culturelles.

Le sauvage, loin de correspondre à une nature qui précéderait (au sens logique et pas chronologique, par exemple, des créationnismes religieux fondés sur l’homme naturel peccable comme origine de l’humanité) et fonderait le devenir culturel de l’homme, se situe dans la dimension sociale originaire de ce-dernier. En tant que telle, la figure du sauvage prend des expressions aussi diverses que la société dans laquelle elle peut s’épanouir. Elle en épouse ou repousse les limites, en parcourt ou détourne les lignes de résistance, en réfléchit ou infléchit les contraintes, en absorbe ou incline les normes. Comme un cours d’eau qui patiemment grignote et infiltre la terre, la transperce et la gorge, contournant les roches obstinées, pour se frayer son passage de vie selon les différentes conductances, là où la résistance est moindre, là où ça plie et ça lâche, là où ça casse ou ploie tendrement, là où le passage demeure opiniâtrement clos ou s’ouvre avec générosité. Elle est cet étonnant ajustement entre ce qu’elle peut être et ce qui est. Elle est tout un environnement qui en rencontre, élude ou pénètre une multitude d’autres.

Ainsi, enhardir le sauvage en nous, ce n’est pas adopter un comportement qui correspondrait à un hypothétique et chimérique état de nature, construction ou fantasme de la raison spéculative. Ce n’est pas renoncer à la virtualité technique, artistique, scientifique. Ce n’est pas épouser les théories ou les éthiques primitivistes. Ce n’est pas rechercher dans les déterminismes (ou les potentialisateurs) biologiques des normes de comportement. Car ceux-ci n’en donnent pas ; ils ne font que tracer des « bandes de confort » à l’intérieur desquelles les comportements peuvent plus ou moins varier sans compromettre la survie de l’individu, des lignes d’« optimalité », différentes pour chacun, même si elles se ressemblent sensiblement, dont on peut s’écarter avec plus ou moins de sécurité.

Ces zones et ces axes sont, quoiqu’il en soit, fragiles, sensibles aux perturbateurs environnementaux, qu’ils soient d’origine humaine ou non humaine. L’obstination à troubler les climats (pas uniquement au sens météorologique) qui favorisent le développement de la vie est une funeste disposition de la nature/culture humaine qui a coupé en elle toutes les voies d’accès aux énergies du sauvage. L’événement civilisationnel est le terreau de ces atteintes graves à la vie que sont les violences infligées aux femmes, aux enfants et aux autres êtres vivants humains ou non humains, et leur silencisation.

Laisser couler le flux du sauvage en soi, vivre, enfin. Il n’y a pas de tâche plus urgente.

 

Articles récents

Le Choeur des femmes de Martin Winckler le 11 mai à Paris

Les Femmes sauvages poursuivent leur oeuvre militante en faveur des droits des femmes par le medium artistique et théâtral.

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Le vendredi 11 mai à 21h à l’occasion des Journées des doulas, la troupe des Femmes Sauvages fera une présentation théâtrale du superbe roman de Martin Winckler Le Choeur des femmes.

Le spectacle sera suivi d’une discussion durant laquelle nous pourrons refaire un monde plus juste pour les femmes !

 

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Ce sera au Loft Pelleport au 66 rue Pelleport dans le 20e arrondissement de Paris.

Tarif unique : 5 euros. Pas de réservation nécessaire.

Venez nombreuses et nombreux découvrir ce texte puissant qui dénonce les violences gynécologiques et obstétricales et montre qu’une autre approche de la médecine des femmes est possible, douce, respectueuse, patiente, humble.

 

Qui est Martin Winckler ?

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Marc Zaffran, né en 1955 à Alger, est un médecin français, connu sous l’unique pseudonyme de Martin Winckler, comme romancier et essayiste, évoquant souvent la situation du système médical français. Il est également critique de séries télévisées et traducteur.
Rentré en France avec ses parents en 1963, il a tôt le goût de la lecture et de l’écriture. Diplômé de la faculté de médecine de Tours, il exerce dans un cabinet médical de campagne de 1983 à 1993.
En 1984, il publie ses premières nouvelles sous le pseudonyme de Martin Winckler. Son premier roman La Vacation est publié en 1989 et introduit le personnage du docteur Bruno Sachs qui devient célèbre avec le roman suivant La Maladie de Sachs, porté à l’écran en 1999 et interprété par Albert Dupontel.
En 1993, il devient traducteur et écrivain à temps plein tout en continuant à exercer la médecine à temps partiel à l’hôpital du Mans dans le service de Planification. Il y travaille jusqu’en décembre 2008, avant d’émigrer au Canada.
Depuis 2004, son site internet publie de nombreux articles et contributions sur le soin, la contraception, les séries télévisées.
De février 2009 à décembre 2011, il est chercheur invité au Centre de recherches en éthique à l’Université de Montréal, pour un projet de recherche sur la formation des soignants.
Il publie de très nombreuses oeuvres (essais, romans…) comme Le choeur des femmes en 2009 sur la médecine de la femme et Les Brutes en blanc en 2016 sur la maltraitance médicale.
(Source Wikipédia)

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